Les murs-rideaux porteurs en bois sont un moyen étonnamment flexible pour bien éclairer et baigner de lumière naturelle un espace intérieur.
Mais quelles sont les implications liées à l’utilisation de murs-rideaux en bois en matière de combustibilité, de performance thermique, d’intégrité structurale et de facilité d’installation – en particulier pour les vitriers habitués à travailler avec des produits traditionnels en aluminium?
Samuel Doyon Bissonnette d’Unicel Architectural a récemment rencontré Patrick Flannery, qui anime le balado Glass Talk du magazine Glass Canada, pour explorer dans les moindres détails les murs-rideaux en bois.
Veuillez noter que la présente entrevue a été tronquée au besoin et révisée pour qu’elle soit claire.
Patrick Flannery: Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre entreprise?
Samuel Doyon Bissonnette: J’ai une formation d’ingénieur. J’ai rejoint l’industrie en tant que chargé de projet avec Unicel, puis je suis devenu directeur de l’ingénierie. Depuis janvier, je suis coprésident et actionnaire de l’entreprise, conjointement avec mon frère Vincent, qui a participé au balado il y a quelques semaines. Unicel est une entreprise familiale, et nous exerçons nos activités depuis plus de 60 ans.
Nous offrons trois principales gammes de produits : La première s’appelle Vision Control qui est une gamme de solutions de vitrage spécialisées. Nous avons également notre propre gamme de murs-rideaux en aluminium et lanterneaux sur mesure. Et puis il y a notre nouvelle gamme de murs-rideaux en bois et de lanterneaux. Celle-ci provient d’une acquisition que nous avons faite en 2018, lorsque nous avons racheté une petite entreprise qui fabriquait des murs-rideaux en bois. Et nous avons considérablement développé la présence de cette entreprise ces dernières années, tant sur le marché résidentiel que commercial.
PF: Un certain nombre de changements apportés aux règlements sur la combustibilité, ainsi que des préoccupations croissantes concernant l’efficacité énergétique, ont contribué à la récente popularité des murs-rideaux en bois. Pourriez-vous nous décrire ces changements?
SDB: Il y a eu deux changements principaux dans les règlements ces dernières années, l’un en termes de hauteur des bâtiments en bois massif, et l’autre concernant la performance thermique – qui favorisent tous deux l’utilisation de murs-rideaux en bois.
Commençons par les limites de hauteur. Le code était assez strict concernant la hauteur des bâtiments en bois et des bâtiments en bois massif. Mais ces dernières années, il y a beaucoup de travail qui a été fait par des organisations comme FPInnovations et Cecobois pour vraiment mettre en valeur et à l’essai des structures en bois massif, notamment en effectuant des démonstrations en direct de leur résistance au feu. Car ce qu’il faut comprendre, c’est que, oui, le bois brûle – mais lorsqu’il brûle; il se carbonise et forme une couche protectrice naturelle contre le feu. Il est facile de calculer sa vitesse de carbonisation par heure; donc si vous voulez atteindre un certain degré de résistance au feu, vous devez augmenter l’épaisseur des poutres et des colonnes que vous utilisez. Elles résistent et gardent leurs propriétés structurales pendant un certain temps au fur et à mesure que le bois se carbonise.
Il est donc dorénavant possible de construire des bâtiments plus hauts en bois massif. Et les codes sont de plus en plus ouverts à cela. Aujourd’hui, vous pouvez construire un bâtiment de 13 étages avec du bois apparent. Et lorsque vous avez un bâtiment en bois massif, il est logique d’avoir un mur-rideau en bois de la même espèce que le bois massif. C’est donc une alliance parfaite.
L’autre point concerne la performance thermique. Tous les nouveaux codes sur l’énergie tiennent compte des ponts thermiques et le bois est bien meilleur que l’acier pour empêcher les ponts thermiques. C’est un matériau beaucoup moins conducteur. Tous les nouveaux règlements sur l’efficacité énergétique sont également plus stricts en ce qui concerne les systèmes de fenêtrage, et nos systèmes de murs-rideaux en bois sont certifiés « Maison passive ».
Avec un vitrage approprié, il est possible de réduire la valeur U globale à 0,8, ce qui est l’objectif à atteindre d’ici 2030, fixé par RNCan. Mais nous y sommes déjà. Nous considérons ce produit comme un produit d’avenir, dans la mesure où nous sommes déjà là où ils veulent aller dans quelques années.
PF: Quels sont les autres points importants à noter en ce qui concerne les murs-rideaux en bois et la combustibilité?
SDB: Parfois, nous réalisons également des joints coupe-feu entre les étages. Et un autre point très important est qu’il y a, la plupart du temps, un couvercle en aluminium, une plaque de couverture en aluminium sur le côté extérieur, de sorte qu’il n’y a pas de propagation du feu à l’extérieur. C’est sur le côté intérieur que vous avez du bois, tout comme vous avez des meubles en bois dans votre intérieur.
PF: La première réaction des gens lorsqu’ils entendent parler de la construction d’une tour en bois, y compris la façade, est qu’elle va s’effondrer. Elle ne sera pas assez solide. Vous êtes ingénieur – quelle est la vérité à ce sujet?
SDB: Elle peut être suffisamment solide si vous la concevez correctement. Avec tout ce bois d’ingénierie et le bois lamellé-collé, une tour peut s’élever sur une hauteur de plusieurs étages, et la partie structurelle n’est vraiment pas un problème.
Ce qui se passait il y a de nombreuses années, avant que tous ces produits en bois d’ingénierie et en bois lamellé-collé n’arrivent sur le marché, c’est qu’il fallait effectuer quelques calculs élémentaires pour le bois. Le bois étant un matériau naturel, il est imparfait, il y a des imperfections, et les codes et la façon dont vous calculez normalement la résistance de la structure en bois reflètent cela. Vous avez tous ces facteurs, comme le nombre de nœuds, le bois qui peut avoir des fissures, et ceci et cela, ce qui réduit considérablement la partie utilisable.
Mais lorsque vous travaillez avec du bois d’ingénierie, vous avez beaucoup plus de contrôle et beaucoup moins de fissures. Il est testé et certifié.
PF: Quels autres aspects structurels entrent en jeu lors de la conception d’un mur-rideau en bois? Devez-vous aborder les choses différemment pour obtenir la résistance et la dureté dont vous avez besoin?
SDB: Divers aspects entrent en ligne de compte, mais je les vois comme des opportunités. Le fait que nous utilisions le bois comme élément arrière de nos meneaux nous donne une grande flexibilité. Nous ne sommes pas limités par un nombre prédéfini de teintures ou d’extrusions, ce qui nous permet de couper le meneau selon la dimension dont nous avons exactement besoin pour chaque élévation spécifique et chaque travail spécifique, afin d’optimiser parfaitement la dimension du meneau.
Et en plus de cela, nous travaillons avec du bois, ce qui permet de concevoir une façade porteuse. Il s’agit donc d’un véritable changement de paradigme dans le secteur des murs-rideaux et des façades : Ils constituent l’enveloppe du bâtiment, mais ils peuvent aussi faire partie de la structure. Nous intervenons donc souvent plus tôt dans le processus de conception. Et puis nous travaillons de concert avec les ingénieurs de projet, les ingénieurs de structures. Nous pouvons leur conseiller de supprimer cette grosse colonne à l’angle du bâtiment, et les architectes adorent cela, car on peut obtenir des vues dégagées. Nous pouvons fabriquer des murs-rideaux d’une longueur de 30 pieds sans aucune structure à l’arrière et, en plus, ils supportent la charge du toit.
PF: Une autre chose qui vient à l’esprit est la flexibilité du bois. Cela pourrait être un avantage dans les régions sujettes aux tremblements de terre, n’est-ce pas?
SDB: La clé, comme vous l’avez dit, c’est la flexibilité. Et le terme employé en ingénierie est la ductilité – c’est ce dont vous avez besoin pour que les bâtiments résistent aux tremblements de terre, et là où vous avez le plus besoin de ductilité, c’est dans l’ancrage et les connecteurs. Le bois est idéal pour ce type d’applications. Nous sommes en train de le faire tester par rapport à différentes normes antisismiques.
PF: Pour en revenir à l’efficacité énergétique, vous avez mentionné que vous pouviez empêcher certains ponts thermiques avec un mur-rideau en bois. Comment cela fonctionne-t-il?
SDB: C’est en utilisant une structure en bois massif plutôt qu’une structure en acier que l’on évite le plus les ponts thermiques. Mais un autre aspect de la performance thermique ne concerne pas seulement le bois, mais l’ensemble de l’ingénierie du système. L’eau et la condensation sont les plus grands ennemis du bois, n’est-ce pas?
Et donc avec notre système, nous voulons absolument éviter la condensation sur le meneau. Le système d’étanchéité est donc conçu pour être super isolant en plus de cela, afin d’éviter tout risque de condensation. Nous avons des joints EPDM très, très épais. Nous avons mis de la mousse isolante dans la cavité d’air pour bloquer la convection qui pourrait s’y produire. Et nous avons aussi des joints épais à l’extérieur. Tout cela fait que l’ensemble est très bien isolé. Et en plus de cela, c’est un système très, très flexible. Nous pouvons donc incorporer au système du verre de n’importe quelle épaisseur, allant d’un demi-pouce à quatre pouces – nous pouvons utiliser du triple vitrage avec des laminés et toutes sortes de choses, du verre surdimensionné aussi que nous utilisons de temps en temps. Nous pouvons répondre à tous ces besoins.
Il s’agit en fait d’un système de vitrage à sec, c’est-à-dire qu’il n’y a pas du tout de produit d’étanchéité dans le système. Le scellant est excellent jusqu’à ce qu’il ne le soit plus, et le fait de pouvoir éviter tout scellant est idéal du point de vue de la durabilité. Une autre tendance qui se dessine dans le secteur est la déconstructibilité : que faire d’un produit dans quelques années, lorsqu’il sera en fin de vie? Et il est beaucoup plus facile de le déconstruire et de le recycler lorsqu’il n’y a pas de produit d’étanchéité.
Un mur-rideau en bois contient également beaucoup moins de carbone incorporé qu’un mur-rideau traditionnel. C’est un produit au bilan carbone net négatif.
PF: Avez-vous fait réaliser une DEP ou une analyse du cycle de vie de ce produit, ou quelque chose de ce genre?
SDB: C’est quelque chose que nous examinons. Nous avons des DEP pour la partie bois du produit. Nous n’avons pas encore de DEP pour l’ensemble du système, mais nous en avons pour les parties en bois.
PF: Qu’en est-il de l’isolation derrière le panneau tympan? Y a-t-il des difficultés ou des différences dans la façon de procéder?
SDB: Non, c’est très semblable à un mur-rideau traditionnel. Nous pouvons insérer ce que nous voulons dans la poche de vitrage, comme dans un mur-rideau traditionnel. Donc des portes, des fenêtres, des portes d’entrée et fenêtres de bâtiments commerciaux. Nous pouvons faire tout ça.
PF: Qu’en est-il des systèmes de fixation?
SDB: Il s’agit d’un système de profilés, donc tout est usiné dans l’atelier et tous les connecteurs sont mis en place dans l’atelier, et ce sont tous des connecteurs cachés qui sont usinés entre les meneaux. Donc ils sont tous invisibles.
En ce qui concerne l’ancrage à la structure, c’est là que nous devons faire preuve de créativité. Cela nécessite beaucoup d’ingénierie et c’est probablement ce qui le différencie le plus des murs-rideaux traditionnels en aluminium, où vous avez un manchon. Avec un mur-rideau en bois, il n’y a aucun moyen de poser un manchon. Mais nous avons mis au point diverses stratégies – nous avons des plaques d’assemblage à tenon d’acier, des tiges qui vont dans les meneaux, des plaques d’acier plié. Nous avons pratiquement réglé tous les détails des connecteurs.
PF: Vous avez pensé à faire un système unitaire préfabriqué?
SDB: C’est en cours de réalisation, en fait. Nous travaillons avec un partenaire allemand sur ce projet, qui en est au stade de la recherche et du développement.
PF: Et pour l’installation – les meneaux doivent être nettement plus légers?
SDB: En fait, ils sont un peu plus lourds que ceux en aluminium. Mais plus légers que les grands meneaux renforcés d’acier pour des unités de verre surdimensionnées. Bien plus légers que ceux-là.
PF: Vous pouvez donc y placer des panneaux de verre plus grands que dans les systèmes en aluminium?
SDB: Nous venons de terminer un travail qui est présentement en cours d’installation, où chaque meneau vertical fait 43 pieds et demi de long.
PF: Ouah, ça alors! C’est tout autre chose.
SDB: C’est l’esthétisme et la flexibilité que l’on obtient en travaillant avec le bois.
PF: Pouvez-vous nous donner plus d’informations sur l’histoire du produit? Vous avez mentionné une acquisition plus tôt?
SDB: Le produit lui-même est originaire d’Europe, principalement d’Allemagne. Ils ont commencé à faire des murs-rideaux en bois il y a environ 20 ans. Puis, il y a environ 10 ans, une entreprise appelée IC2 Tech, située juste à l’extérieur de la ville de Québec, a commencé à travailler avec un partenaire allemand dans le domaine résidentiel haut de gamme. Ces murs-rideaux en bois se sont avérés très adaptés aux résidences haut de gamme, où l’on peut avoir une belle vue dégagée sur un lac ou une montagne, et où l’on ne veut pas empiler plusieurs fenêtres les unes sur les autres. Sur le plan architectural, ce n’est pas intéressant, car il faut ajouter des poutres et d’autres choses du genre. Les murs-rideaux en bois se prêtaient donc parfaitement à ce type de projet.
Au fil des années, leurs projets ont pris de l’ampleur, et en 2018, nous avons acquis la société et consacré les ressources d’Unicel Architectural au produit. Et nous avons ouvert le marché commercial – nous avons commencé à le faire pour de grands édifices commerciaux, des bibliothèques, des écoles, beaucoup de bâtiments universitaires. C’est une belle réussite. Cette division connaît une croissance exponentielle, et c’est un produit absolument fantastique.
Comme je l’ai dit précédemment, je le considère comme un produit d’avenir, tant en termes de performance thermique que de teneur en carbone, de conception, de flexibilité et de déconstructibilité. Et c’est vraiment intéressant d’être à l’avant-garde du secteur des solutions d’enveloppe de bâtiment.
PF: Comment les clients réagissent-ils généralement au produit?
SDB: Les architectes l’adorent. Ils demandent généralement comment ils peuvent mettre ça sur leur bâtiment.
Et donc là où nous devons faire le plus de travail, c’est avec les vitriers. C’est quelque chose de nouveau, et ils travaillent avec l’aluminium depuis des années. Ils sont parfois assez mal à l’aise au début, mais nous leur apportons beaucoup de soutien. Nous allons sur le chantier. Nous avons une documentation d’installation détaillée. Si vous allez sur notre site web, vous trouverez de belles vidéos d’installation que nous avons réalisées, et nous fournissons une assistance personnalisée pour tous les produits que nous vendons.
Nous guidons les vitriers tout au long du processus, qui est très semblable à un système de profilés traditionnel. Il y a deux ou trois détails différents. Et le fait qu’il s’agisse d’un vitrage à sec rend l’installation plus facile et plus rapide lorsque l’on y est habitué.